RAPPORT DE MISSION EN GUINEE (1)
(Novembre 2013-janvier 2014)
L’éradication de
la pratique de l’excision, en Guinée comme ailleurs dans la planète, n’a pas
seulement une grande importance pour la sauvegarde de la santé physique des femmes, mais aussi pour
l’affirmation de leurs pleins droits à l’intégrité physique et psychologique. La prévalence des MGF en
Guinée est encore très haute: un Rapport de l’UNICEF de juillet 2013
fait état d’une prévalence de la MGF de 96%, la deuxième la plus haute du monde après la Somalie.
Il est maintenant prouvé
que, entre les conséquences néfastes de l’excision, il y a aussi un risque
majeur pour l’accouchement, dès que
l’excision contribue à une plus élevée
mortalité maternelle.
Surtout dans la zone de
Boké et en général en Basse Guinée, la prévalence est très haute (100%).
La loi de 2000 qui interdit cette pratique en Guinée est une étape
fondamentale, mais sans une sensibilisation efficace surtout en milieu rurale, moins
touché par les communications de masse, le processus d’élimination sera très
long et pénible. Selon le Rapport UNICEF
2013, un pourcentage assez bas de femmes guinéennes est en
faveur de l’élimination de la pratique
(19%).
Une vidéo éducative visant à un vaste public populaire
et adaptée aux réalités de terrain, en langues locales, peut fournir un puissant outil d’information,
débat et conscientisation. D’après les
renseignements recueillis, les nombreux projets et programmes réalisés
jusqu’à cette date visant l’élimination des MGF/E n’ont pas encore produit un tel outil. C’est donc dans le but d’étudier les conditions de la faisabilité d’une
pareille vidéo dans les plus brefs délais que je me suis rendue en Guinée de 27
novembre 2013 jusqu’au 16 janvier 2014, dans le cadre d’une mission auto-conçue
et auto- financée.
C’est évident que la
conception d’un outil andragogique implique un support théorique solide.
Les modèles de référence d’élection sont ceux qui conceptualisent les
processus du changement de comportement
dans le domaine sanitaire. Un texte relativement récent en
anglais répertorie la série des théories qui ont été
élaborées dans les dernières 30 années et propose une synthèse qui me semble convaincante. Le Rapport UNICEF
2013 aussi se réfère à ces modèles qui tous (ou presque) soulignent
l’importance de la norme sociale et les contraintes du contexte
socio-économique. Bien que la plupart des interventions réalisées pour changer des comportements dans
le domaine sanitaire aient eu lieu dans les pays développés, on peut se
prévaloir des expériences mises en place depuis les années 1990 en Afrique et en Asie
du Sud-est pour la prévention du VIH-SIDA, qui présentent des analogies avec le
thème qui nous intéresse ici, la prévention des MGF/E. Dans les deux cas en
fait il s’agit des choix des individus dans
la sphère de la sexualité, très imprégnée de croyances, préjugés,
traditions enracinées, rapports de pouvoir qui conditionnent la conduite des
membres de la communauté. Si possible, la problématique liée aux
MGF est encore plus complexe que pour le VIH/SIDA, car il ne s’agit pas
seulement de renverser un modèle de féminité, de sexualité soumise et sans
voix, mais de déclarer périmée toute une tradition ancestrale imbriquée dans les rites d’initiation, fondant le lien
social.
En tout état de
cause, plusieurs éléments des
différentes théories, compatibles et
parfois complémentaires, nous semblent pertinents :
·
Le concept de STAGES
successifs et pas toujours en progression automatique (il y a des retours en
arrière), une transition lente à travers le changement de comportement et de
valeurs de référence, à partir de la phase de « pré-contemplation » (du
changement) à la « libération sociale » selon le modèle de James O.
Prochaska et DiClemente, le « Modèle Trans-théorique »;
·
L’influence des
personnes importantes de l’entourage sur le sujet qui commence à
considérer le changement (les
« significant others » selon le psychologue M. Fishbein), donc la
pression exercée par le milieu sur les individus et les rapports de pouvoir
(modèle de la « Reasoned
Action » de M. Fishbein et I. Ajzen )
·
Les concepts de A.
Bandura dans la théorie du « social
learning », ré-baptisée
« social cognitive theory », qui emphatisent soit l’auto-efficacité (de l’individu) soit
les relations réciproques entre milieu et individu et l’importance des facteurs
externes facilitant le changement (et les possibles barrières);
·
La théorie de la diffusion des innovations
de E.M. Rogers, très connue et très
utile, à mon avis, pour comprendre
comment un nouveau comportement socialement bénéfique (« social
marketing ») peut être présenté
comme attractif et désirable ;
·
Enfin, l’interaction du
plan affectif et cognitif et l’importance d’un diagnostic de la dynamique
communautaire, essentielle dans un contexte africain.
Les contacts institutionnels à Conakry ont été
limités, à cause des difficultés logistiques,
dès que le siège principale où la mission de terrain s’est déroulée était la Préfecture
de Boké, et précisément les villes de Boké et de Kamsar et on se
déplaçait en taxi brousse
.
A Boké on a travaillé
avec la Direction Préfectorale de l’Education, la D. P. des Affaires Sociales
et la D.P. de la Santé.
Le diagnostic du contexte culturel et sociale a
été réalisé à travers plusieurs entretiens basés sur des guides d’entretien écrits.
A suivre, la liste des personnes interviewés (tous et toutes anonymes pour un
souci de discrétion, étant donné le domaine intime des contenus de
l’entretien) :
·
38 élèves des classes
terminales des Lycées respectivement de Filira
(Boké) et Filima (Kamsar) (20 garçons et 18 filles), entre 15 et 28 ans,
âge moyen 20 ans.
·
6 élèves de la
première classe de Plomberie du centre de Formation professionnelle de Boké (3
garçons et 3 filles), même âge moyen.
·
1 imam de Boké
·
1 chef de quartier de
Boké
·
2 femmes (professionnelles ) en âge mûr à Boké
·
1 ménagère (relativement jeune) de Conakry
·
4 exciseuses de
Kamsar
On a eu aussi des
conversations approfondies avec deux
sage- femmes (respectivement à Boké
et à Kamsar) et des conversations plus informelles avec deux gynécologues (l’un de Conakry,
l’autre de Kamsar), et avec deux médecins de M.G. (dont la Directrice de la DPS
de Boké), aussi bien que beaucoup de conversations plus ou moins casuelles avec
d’autres sujets, qui ont été utiles pour compléter le diagnostic.
On a aussi participé
à un Séminaire organisé par la D.P. des Affaires Sociales de Boké sur les
violences basées sur le genre le 12 décembre 2013, dans lequel il a aussi été question des MGF.
Le but et le focus
des entretiens étaient diversifiés selon les
caractéristiques des interlocuteurs : pour les élèves, les représentants de la jeune génération la plus instruite dans une zone
semi-rurale, il s’agissait de comprendre
quelles étaient leurs connaissances et leurs attitudes face aux MGF. Dans le
cas des femmes plus âgées, l’objectif de l’entretien était de déceler le vécu
de l’excision sur le plan sexuel et dans le rapport maritale. Le point de vue
masculin sur cela a été recueilli dans
le témoignage d’un homme seulement, le chef d’un quartier de Boké. Pour les sages-
femmes, les médecins et les gynécologues,
il s’agissait de comprendre à travers leurs
expériences professionnelles l’étendue
et l’évolution de la situation. Enfin, on a eu la chance de pouvoir
identifier et interviewer, avec l’aide d’un interprète, un groupe
d’exciseuses encore actives, deux
« doyennes » et deux « apprentis » plus jeunes, qui n’ont
aucun doute sur le bien-fondé de leur choix. Les deux vieilles sont
analphabètes complètes (mais elles ont fréquenté l’école coranique), les deux
plus jeunes ont fréquenté l’école française pour un certain nombre d’années (8
et 4 respectivement).
Résultats et discussion
L’approche de
l’enquête était nécessairement
qualitative dès que le nombre des personnes touchées était modeste. On
va présenter les résultats séparément,
selon les interlocuteurs.
Dans le cas des
étudiants , le groupe le plus nombreux des interviewés, on a remarqué un
«gradient » d’adhésion à la pratique de l’excision, du maximum de 4 favorables contre 2 adverses dans le
Centre de Formation Professionnel de Boké (un des garçons avait aussi des grandes difficultés à
s’exprimer en Français), où les élèves
proviennent d’une couche socio-économique plus modeste , au minimum du
Lycée Filima de Kamsar (15 adverses, 3 favorables, 2 en doute). Kamsar est une
ville plus dynamique et culturellement plus ouverte que Boké, où en total, sur
les 18 élèves interviewés on compte 9 favorables et 9 adverses. On n’a pas
remarqué des différences entre les
filles et les garçons, donc l’expérience en première personne de l’excision ne
semble pas constituer une discriminante.
Le guide d’entretien dans les écoles était
composé de 3 questions identiques pour les deux sexes, sauf une quatrième
question dirigée aux filles sur le statut d’excisée/non-excisée et les
circonstances de l’excision.
L’origine géographique et ethnique des élèves était très variée et donc un
vaste éventail culturel était représenté (peulh, soussou, baga, landouma,
kissi, nalou, diakanké, etc..).
D’une façon général,
on remarque que seulement quelques garçons et filles ont donné une réponse
claire quand il s’agissait de décrire en peu de mots l’opération physique de
l’excision. « L’excision est un acte dans lequel on utilise la
tradition » (fille au Lycée
Filira) ; « Je ne sais pas exactement comment se passe
l’affaire » (garçon au Lycée Filira) ; « J’ai un peu oublié. Je
connais mais j’ai oublié » (garçon du CFP de Boké). Une fille peulh de 15 an a les idées plus
claires « On circoncise la fille, est de couper une partie du sexe de la
fille, la partie qu’on coupe s’appelle en poular solihoungoun ». C’est un garçon
du Lycée de Kamsar qui donne la réponse la plus claire: « L’excision par définition consiste à
faire la mutilation de l’organe génital féminin , on coupe une petite partie
qui est à l’intérieur». Il est l’unique
qui dit clairement en Français « clitoris », cela m’étonne, parce que
la plupart des autres au maximum donnaient le nom en langue nationale. Je lui
demande qui lui a expliqué si bien cela et il répond : « le
professeur de français ». La
réponse la plus étrange est celle d’un
garçon du Lycée de Boké. » L’excision est un petit mot qui coule lors des rapports
sexuels entre un homme et une femme ». En général, j’ai préféré d’écouter seulement,
limitant les explications factuelles à quand elles étaient vraiment nécessaires,
mais dans certains cas , lors que je remarquais un vif intérêt à en savoir
plus, je donnais des explications. Dans un cas, un garçon m’a dit qu’il a
changé d’opinion (de favorable à contraire) pendant l’entretien, parce qu’il
n’avait pas compris en quoi l’excision consistait (il a été classé comme
« en doute »).
Les raisons les plus
mentionnées de l’adhésion à la pratique étaient :
·
Les traditions et la
nécessité de les suivre : « On a trouvé ça avec nos parents. Nous
serons obligés de continuer » (garçon du Lycée Filima) ; « C’est
l’habitude des nos anciens , pour ça on va le faire» (fille du CFP de
Boké) ; « Chez nous ici c’est bon, parce-que on a vu ça chez nos
grands pères » (garçon du CFP de Boké, et il continue en disant : je
ne sais pas ce qu’on fait à la fillette. Je lui demande alors pourquoi il dit
d’ être favorable à quelque chose qu’il ne connaît pas, il répond :
« Parce-que c’est ce qui se fait chez nos grands pères » ; et
encore : « Nos grands pères ont commencé, on doit continuer »
(fille du CFP de Boké) ; « c’est l’habitude de nos anciens »
(fille du CFP de Boké) ; « c’est bon parce-que c’est
traditionnel » (garçon du CFP de Boké).
·
La nécessité de
diminuer la possibilité d’ « excitation » des filles :
« Une fille qui n’a pas été excisée a beaucoup d’ambitions chez les
hommes …oui je suis favorable parce-que si non j’aurais beaucoup
d’ambitions » (fille du Lycée Filira) ; Quand on n’excise pas une
fille elle devient plus excitante » (fille du Lycée Filima) ;
On dit ici que si une femme n’est pas excisée elle va faire n’importe quoi, le
vagabondage » (garçon du Lycée Filira) ; « C’est très important
pour nous les filles, si on n’avait pas ça il y aura…comment dire…tu dois te
limiter…si non…Moi je veux que ça continue » (fille du Lycée
Filira) ; « c’est une méthode que rend les filles fiables ».
Quand je demandais pourquoi alors il y avait un tel nombre des grossesses non
désirées parmi les adolescentes, on
n’avait pas de réponses.
·
La religion est
mentionnée seulement dans un cas : « la religion nous impose de
faire…oui, je vais exciser ma (future) fillette » (garçon du Lycée
Filira). Ce même garçon venait de me dire : « j’ai pas aimé cette
pratique parce-que …du aux causes que ça fait aux femmes, ça cause des
différentes maladies ». On a
remarqué parfois ces propos contradictoires, mais on n’avait pas le
temps d’ y travailler, ni le but du constat était de faire bouger les opinions
(cela s’est produit, comme on l’a dit, dans un cas).
·
Un garçon du Lycée
Filima dit que « ça (l’excision) favorise les rapports sexuels », et
il est, « bien sûr », favorable.
D autre côté, les
élèves qui étaient adverses à la pratique (26 sur 44), se référaient aux
informations reçues à travers les moyens de communications de masse (TV,
conférences, passe-parole surtout, quelque fois l’école ou les professeurs de
biologie –ou de français). Parfois on se
base sur l’expérience personnelle.
·
« L’excision
n’est pas bon…ça provoque des maladies, ça peut rendre une femme stérile, si on
excise une fille on peut être contaminée..Chez les grandes mères c’est le
couteau.. » « faire la circoncision n’est pas bon..parce-que il
y avait une toute petite fille de 8 ans qui a sorti beaucoup de sang, toute la
journée…pour arrêter le saignement on a pris une hache, on l’a mise sur le feu
et (ensuite) dans l’eau. Après la fillette a bu l’eau. Le saignement s’est
arrêté petit à petit. …la plaie a
duré…on a coupé un bois, en poular dougounmè. On a mis dans le feu, la
partie brulée du bois, on( l’)a raclée. Et on a mis la poudre sur la plaie,
cette poudre a fait guérir, tout ça a duré une semaine. Pour cela je suis contre ».
« Ça cause beaucoup de conséquences, les règles douloureuses, les MST,
difficultés pendant l’accouchement, hémorragies..je suis contre » (garçon
du Lycée Filima).
·
Un garçon du Lycée
Filima, qui est « contre », dit que « une tante avait pris ma
petite sœur, 7 ans, et l’a emmenée au
village. Ma mère ne voulait pas (la faire exciser), elle a volée la fillette.
Elle (la sœur) est tombée malade, on a dit que c’est le palu. Il y a des
sorcières au village, ….elles font leur travail la nuit. L’enfant est morte….c’est
pour ça que je suis contre».
Dans les (rares) cas
où les parents étaient contraires à l’excision, il y avait une parente, une
amie intime, une tante qui avec un subterfuge soustrayait l’enfant et la
faisait exciser à l’insu des ses parents, ou encore, la mère faisait exciser
l’enfant à l’insu du père absent.
On remarque que très
souvent les filles ont été excisées, selon reporté, par des
« infermières » ou par des » sages-femmes », dans un cas par
« un médecin ». Les lieux de
l’excision étaient «la douche de
la maison de mon grand père », « chez
l’exciseuse», « une enceinte au village », « dans une
clôture », quelque fois « dans
la forêt », « en brousse ».
Presque tous les
élèves ont mentionné des cas malheureux de filles tombées malades ou même qui
« ont rendu l’âme » : j’ai conté 3 cas mortels sur 18 interviews à Filira, 2 (sur 6 !!)
au CFP de Boké, et 3 au Lycée Filima, 8
cas sur 44 interviews. Presque tous les interviewés ont mentionnés des cas de
saignement excessif, d’hospitalisation et des suites pathologiques : une
femme ne peut plus bien marcher, l’autre est stérile. Une fillette a pris la
« souplis », (syphilis ??),
et une autre le tétanos, heureusement guéri.
L’expérience de l’excision était encore très vive dans
les deux femmes : une avait été
excisée deux fois parce-que les résultats de la première excision n’étaient pas
satisfaisants : selon sa mère, on avait coupé très peu et
« cela » avait repoussé. (Un élève m’a raconté la même histoire d’une
double excision d’une petite amie, et dans ce cas la deuxième fois a été
fatale, la fillette est morte).
Toutes les deux femmes ont mentionné leurs difficultés
dans les rapports sexuels, qui se sont
prolongées pour des longues années « j’étais comme un
arbre » ou « rapports très douloureux ». Pour l’une, il y a
fallu 4 ans avant de prouver du plaisir, pour l’autre, 15 ans ! La
première a réussi à ne pas faire exciser sa fille, à l’aide de son mari qui a
menacé ses sœurs qui voulaient le faire
de porter plainte, tandis que les filles de l’autre ont été excisées en
cachette par une parente, à son insu.
Elle commente : « cela se passe très souvent ».
Le chef de quartier est à la retraite (il était un
fonctionnaire d’Air Guinée) et déclare « les gens s’entêtent toujours dans
la coutume, c’est pas normal….ça occasionne beaucoup de maladies, ça diminue la
féminité de la femme..je pense que c‘est un dégât ». Et encore, sur le
plan sexuel, « un homme se fatigue » . Il faut ajouter qu’il a quatre
femmes. Il a 12 enfants, 6 sont des femmes, et elles feront exciser leurs fillettes : « elles veulent faire
l’excision légère, on blesse ».
L’imam, quant à lui, admet que « la Guinée est un
pays laïque et le gouvernement a interdit l’excision des femmes.. » ;
« hommes religieux nous sommes, on ne peut pas combattre les lois du gouvernement.. »,
mais quand je lui demande si il s’est jamais
prononcé ouvertement contre les MGF dans la mosquée,
en disant que l’Islam ne l’impose pas et que il y a même une fatwa
qui condamne les MGF, il répond qu’il le ferait si le Grand Imam de Conakry se
prononçait explicitement sur cette question.
Les deux doyennes ont respectivement 66 ans et 55 ans, tandis que les deux
apprentis sont sur la trentaine. La plus vieille dit qu’elle n’excise plus,
elle fait « l’assistance », et enseigne aux autres. Elle a commencé à
30 ans, « prenant du courage » et a appris sur le tas des amies plus
âgées. Elle a fréquenté l’école coranique pour 13 ans, jusqu’à 18 ans quand
elle s’est mariée, et se rend à la mosquée chaque jour, matin et soir. Après
l’indépendance en 1958 elle a fréquenté jusqu’à la 3° année de l’école française. Elle n’écoute
jamais la radio et affirme ignorer que l’excision soit interdite par la loi.
Elle pense qu’il soit « bon de faire l’excision parce-que si tu es
musulmane, si une femme n’est pas excisée, sa prière ne sera pas exaucée ».
Je demande où elle a appris ça, et elle répond
« chez le marabout ».
Une des apprentis est sa jeune sœur qui veut
« prendre la relève », elle affirme qu’elle aime d’apprendre
parce-que « c’est quelque chose de propre ». Actuellement on
n’utilise plus le couteau mais les ciseaux, et on désinfecte avec de
l’alcool. On coupe une petite partie
(seulement).
La deuxième doyenne n’a pas des doutes : elle le
fait « parce-que la jeune fille a le droit d’avoir des enfants ».
Selon elle, l’excision va faciliter l’accouchement. Ensuite, elle se
corrige : « Pour certaines (femmes), l’excision va faciliter
l’accouchement, pour d’autres, elles n’en ont pas besoin , mais…c’est la
coutume » . Quand je cherche d’éclaircir ce qu’elle veut dire, elle
ajoute que « c’est pour diminuer la fatigue » (de
l’accouchement ). A-t-elle discuté avec des sages-femmes cette
théorie ?, je lui demande. Elle
répond que sont les sages-femmes qui apprennent d’elles comment faire
l’accouchement!! Toutes le quatre affirment n’avoir jamais eu des problèmes de
santé avec les fillettes excisées, traitées avec leurs médicaments.
Enfin, une question me brule sur les lèvres : si
l’imam disait qu’il ne faut pas faire les excisions, qu’il n’est pas bon de les
faire, que feraient-elles ? L’interprète traduit :« Comme c’est
l’Etat ou l’imam qui le dit, elles pourraient laisser. ….elles feraient des
questions…mais jusqu’à maintenant il
(l’imam) ne l’a pas dit ». Si il y a une loi que interdit
l’excision, elles « n’ont pas vu les conséquences sur le terrain ».
L’Etat, le gouvernement et la loi sont des entités lointaines, mais l’imam est quelqu’un
que l’on voit de près.
Une des sages-femmes confirme la continuation de la
demande d’excisions, désormais à l’hôpital, elles (le staff) acceptent à fin de
diminuer le dégâts,
et cherchent de « faire semblant » : « Pour celles qui
s’entêtent, pour que la fille ne soit pas stigmatisée…on pique et on fait
couler des gouttes de sang, ou même on ne fait rien du tout ».
Ensuite, on bat les mains et on fait la fête comme si… ». Elle a toujours
cherché de « sensibiliser ».
« Encore on voit dans les accouchements des
déchirures du périnée…les rapports sont douloureux…les hommes préfèrent le
Sénégalaises qui ne sont pas excisées..les femmes excisées n’ont pas la
jouissance ».
Elle réfère aussi un cas de viol d’une fillette de 5
ans….elle était « domestique » chez une famille, et de grossesses
même à 10 ans !
L’autre sage-femme me décrit la situation d’un des
accouchements récents qu’elle a traité : la femme a eu besoin d’une
épisiotomie très accentuée et elle a du être « ravaudée » à travers
toutes les couches des tissus détruits. Elle a convoqué la famille et les a mis
sur la sellette pour les méfaits dont ils étaient responsables. « La mère
pleurait ».
Sur le côté positif, enfin, les deux gynécologues,
l’un en service à Conakry et l’autre à Kamsar, confirment que dans les
dernières 10 années un bon pourcentage des femmes au dessous des 25 ans n’est
pas excisé (mais pourtant toutes les fille que j’ai interviewé étaient
excisées !). On n’a pas pu obtenir des données statistiques précises. Une
circonstance reportée par un des gynécologue me frappe : il dit que
pendant les vacances scolaires on voit « les enfants habillées dans la
rue, on sait ce que ça signifie ». Je lui demande alors pourquoi personne
de la police ne voit rien de cela, n’arrête pas cela ; il n’a pas de
réponse convaincante : « il faut que les femmes décident de laisser
l’excision… », il ajoute. Une enseignante de Boffa, au Séminaire de Boké,
disait que « tout le monde le sait » (que les excisions continuent)
et que «’il ne faut pas se cacher derrière la loi », pas respectée.
Discussion
Il me semble évident qu’en Guinée la pratique de
l’excision soit entourée d’ une complicité, une connivence, un accord sur tous
les versants sociaux qui sont presque universels, ce qui est confirmé
malheureusement par les données du Rapport Unicef 2013. Personne ne m’a jamais
parlé de poursuites du méfait accompli, même quand « on a volée la fillette ». Il
s’agit des proches, des grandes mères, d’amies intimes, comment faire, le dégât
est déjà là…Aussi dans le cas de la mort de la fillette, raconté par un élève,
on n’a pas porté plainte. Dans les meilleurs des cas, le désaccord sur la
pratique est individuel, il ne fait pas « tâche d’huile », ou pas
assez.
C’est cet accord, cette uniformité, bref, cette
acquiescence à « la tradition » qu’il faut briser. Il y a des
brèches, il faut les élargir, renverser graduellement le modèle de féminité,
ré- évaluer et présenter comme une
valeur l’intégrité du corps de la femme et son droit au plaisir sans le
confondre avec ce que, avec du mépris, on me désignait de
« vagabondage », débauche. Ayant remarqué des discours contradictoires dans plusieurs
témoignages des élèves, quand la connaissance de l’impact négatif sur la santé des femmes n’excluait pas les propos favorables à la
continuation de la pratique, il me semble qu’il soit nécessaire de conjuguer
les renseignements ponctuels sur les dégâts physiques (et psychologiques) de
l’excision avec l’appel à l’analyse critique, à ce qui « cloche »
entre le plan cognitif et affectif, au moins pour la couche des jeunes les plus
instruits, qui peuvent devenir les
propulseurs du changement, les « innovateurs »
selon la théorie de E.M. Rogers. Et il
faut l’encouragement à réfléchir sur son expérience.
L’ enseignement de l’école coranique, très généralisée,
difficilement stimule l’exercice de l’analyse critique de ce que l’on
apprend.
L’imbrication étroite des couches sociales
(urbaines-rurales, paysannes-professionnelles, hautes-basses) presque partout dans l’Afriques des villages
semble suggérer pour la vidéo une approche sur différents niveaux et plans, de
façon à s’adresser aux principaux « stakeholders » : adolescents,
jeunes mères, femmes plus âgées encore convaincues que l’excision soit un
« must » social,
une sine-qua-non pour les femmes..
Plus que les causeries, les plaidoyers, les sanctions,
les conférences, les séminaires, une vidéo nous semble un outil attrayant qui
peut s’adresser à plusieurs segments sociaux au même temps, qui parle soit au
cœur qu’ à la tête des spectateurs, pourvu qu’on sache toucher les cordes
justes, et qu’elle soit appropriée culturellement, que puisse arriver à
interroger les consciences et à mettre en discussion des certitudes ancrées. On
ne doit pas essayer de convaincre
mais de susciter des doutes, ou de les éclaircir si on en avait déjà, et susciter
le débat. Le Rapport Unicef 2013 fait
état d’un manque de discussion même entre
époux sur l’excision. Un homme avec lequel je parlais m’a dit avec une
pointe de désintérêt que « c’est une affaire de femmes ».
Les différents interlocuteurs ont des soucis
différents, il faut les prendre en considération tous et en faire ressortir une
vision nouvelle.
(1) Voir la Proposition de Vidéo Educative dans ce Blog: http://croceorsa.blogspot.it/2016/10/video-educative-contre-lexcision-en.html
Puntuale e ricca di informazioni la tua analisi!
RispondiEliminaQuesto commento è stato eliminato dall'autore.
RispondiEliminaC’est terrible ce phénomène qui continué à détruire la vie des centaines de jeune fille et femme en Guinée. Le pire ce que la grande majorité de la population reste aveugler la tradition. Oui c'est bien de garder sa tradition, mais si elle n'est pas néfaste. Par contre l'excision est pratiqué en Guinée sous toutes ses formes sur des petites filles qui ne savent et n’osent dire non! Il faudra que tout le monde se lève contre cette mauvaise pratique qui n'apporte aucune valeur ajoutée sur l'intégrité physique et morale de la jeune fille.
RispondiEliminaIl faudrait que il ait assez plus de support pour les initiatives concrètes de terrain et par contre que les agences internationales depensent moins d'argent pour les seminaires et les conférences internationales.
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